Depuis de nombreuses années maintenant, regarder un match de football à la télévision en tant que simple spectateur ou supporter émérite devient un véritable parcours du combattant tant leur diffusion devient inexistante sur les chaînes publiques et ou gratuites.
Portrait d’une censure bien ficelée.
Un spectacle de moins en moins visible
Jusqu’au début des années 2000, Canal + détenait l’exclusivité de la Ligue 1, et partageait avec TF1 les droits de retransmission de la Ligue des Champions, TF1 diffusait alors une partie des matchs de la plus prestigieuse compétition européenne dont la finale. Mais tout cela est bien fini, et les supporters qui n’ont pas la possibilité financière de pouvoir s’abonner aux chaînes payantes, n’entendent plus raisonner la magnifique musique de Tony Britten qui faisait frissonner plus d’un spectateur devant sa télévision quand celle-ci retentissait « gratuitement » avant le début du match Européen. Ce temps est bien révolu et pas seulement pour cette seule compétition…
Les matchs de l’Euro 2016 n’ont par exemple pas tous été retransmis sur les chaînes gratuites et historiques françaises ; alors même que la compétition était organisée dans notre pays. Certes, nous avons pu voir tous les matchs de l’équipe de France puisque ceux-ci ont été diffusés à la fois sur M6 et TF1 (qui ont diffusé 33 des 51 matchs de l’Euro), mais une coupe d’Europe ne s’arrête pas aux seuls matchs de l’équipe nationale, et pour voir les autres matchs, il fallait être abonné à BeIn Sports.
Le 08 mars 2016, la députée socialiste Valérie Corre avait alors réagit vivement sur ce sujet : « Comment justifier que le spectateur français ne puisse pas voir tous les matchs de l’Euro 2016 alors que comme contribuable, il a largement financé les installations qui accueilleront l’évènement ? » Malheureusement la polémique avait vite été éteinte et aucune réponse satisfaisante n’avait été donnée.
Des droits de retransmission qui s’envolent
Le football génère beaucoup d’argent et les investisseurs étrangers qui sont arrivés en masse et avec de grosses capacités financières ont désorganisé le marché. La Ligue 1 s’est internationalisée, les capitaux étrangers ont abondés vers les grands clubs qui ont pu investir dans des stades modernes, acheter des joueurs de carrure internationale, ouvrir de nouvelles firmes…Ce qui a permis pour le PSG notamment d’être connu à travers le monde. Monaco, Nice ou encore Marseille sont aussi concernés.
Ces mêmes investisseurs, en plus d’être propriétaires ou actionnaires de clubs, veulent montrer leur rayonnement à l’international et ceci passe obligatoirement par la diffusion des matchs. Les droits de retransmission deviennent alors un enjeu majeur. L’exemple le plus emblématique que nous avons en France reste le PSG acheté en 2011 par Nasser Al Khelaïfi, riche homme d’affaires qatarien aussi président du groupe BeIn (anciennement appelé Al- Jazeera), élu depuis 2014 au Conseil d’Administration de la Ligue Professionnelle de Football (LFP), président du PSG Handball anciennement appelé le Paris Handball. Mais le PSG avait dans un passé pas si lointain aussi été détenu par Canal +… Ce mélange des genres « diffuseur/diffusé » permet entre autre de tirer les tarifs vers le haut.
De riches multinationales s’immiscent alors dans le jeu des négociations et font donc flamber les prix des droits de retransmission et comme le souligne Christophe Lepetit, chargé d’études économiques au Centre de droit et d’Economie du Sport (CDES) : « Les chaînes gratuites n’ont plus les moyens de diffuser la Ligue 1 ». Il faut dire que ces dernières années, les droits de diffusion de la Ligue 1 et de la Ligue 2 ont bondi pour atteindre 748.5 millions d’euros par an pour la période 2016-2020. Mais, ce chiffre est loin d’atteindre les sommets des autres championnats comme la Bundesliga (1.4 milliard d’euros) ou encore la Premier League (6.92 milliards d’euros –sur la période 2016/2019). Tant que les multinationales et les actionnaires milliardaires seront de la partie, ces chiffres ne sont pas prêts de redescendre, laissant ainsi les spectateurs les plus pauvres sur la touche…
Les antennes publiques ne sont pas en capacité de pouvoir rivaliser avec ces grands groupes qui finissent alors par s’arranger entre eux pour maintenir une certaine oligarchie consensuelle autour des diffusions sportives. Au vu des sommes astronomiques engagées, les diffuseurs tendent à cloisonner le marché et à faire interdire toute diffusion de match jugée illégale par d’autres opérateurs. La majorité des bouquets tv par ADSL, câble et satellite donnent en effet accès à des chaînes étrangères permettant ainsi de suivre des rencontres pourtant diffusées en exclusivité sur des chaînes payantes comme BeIn. Les consommateurs l’ont bien compris, et profitent de leur bouquet box pour regarder des matchs de notre championnat de France ou des compétitions européennes gratuitement sur ces télévisions étrangères afin de contourner les « interdits ». Pour autant, BeIn a réussi à faire bloquer la chaîne turque TRT1 en France lors de la coupe du monde de football 2014 puisque cette dernière diffusait via son canal freebox un match diffusé en exclusivité sur BeIn. Les consommateurs français abonnés à Free ont alors été privés de ce droit de diffusion sous prétexte que TRT1 n’avait acheté les droits de diffusion que pour son seul pays.
L’opium du peuple n’a plus rien de très populaire
Cette privatisation du football tend à rendre ce sport de plus en plus inaccessible pour la majorité des spectateurs et à créer une véritable ségrégation entre les classes sociales les plus aisées et celles les plus défavorisées. Les valeurs de partage, de cohésion et de fraternité inhérentes au sport s’effritent à mesure que le football se pare de luxe. Il est aussi à noter que le nombre de licenciés dans les clubs amateurs en France ne cesse de décliner depuis des années, de même que le nombre de spectateurs dans les stades. Le football n’est pourtant pas devenu impopulaire mais son changement d’orientation fait que les supporters privés de la possibilité de pouvoir suivre leurs équipes, s’en désintéressent et refusent d’être pris pour des vaches à lait.
A l’heure où les journalistes sportifs dénoncent le manque d’ambiance dans les stades dû à la baisse de fréquentation, peu de personne s’interroge sur les raisons réelles d’un tel désenchantement. Pourtant, elles sont simples à identifier : les prix des places ont explosé, la ferveur populaire a alors laissé place à un public plus fortuné et moins engagé dans la vie de leur équipe…Or, le rayonnement de notre championnat sur la scène internationale dépend de l’ambiance dans les stades, de ce fameux 12ème homme joué par les supporters ; autant dire qu’actuellement pour les investisseurs étrangers le contrat n’est pas rempli. Comme l’explique Nicolas Hourcade, spécialiste du football : « Avec l’arrivée à la tête du club de riches actionnaires qataris en 2011, le PSG a conservé ce plan tout en mettant en œuvre un projet de transformation plus globale du spectacle et des publics, en adéquation avec le modèle du stade moderne. Une image haut de gamme, en phase avec celle de la capitale, est désormais mise en avant : stars sur le terrain et dans la tribune officielle, hausse drastique du prix des billets, forte augmentation du nombre de places VIP (…) disparition de tous les groupes de supporters au profit de clients individuels, prise en charge de l’animation par le club lui-même, tri parmi les supporters conduisant à refuser l’accès à des individus non interdits de stade mais perçus comme dangereux ou contestataires… Pour justifier ces mesures, les dirigeants parisiens revendiquent leur droit à « choisir leur public » et soulignent que le prix des billets correspond à celui des grands spectacles de la région parisienne (concerts, théâtre, opéra…) ou des meilleurs clubs de football européens. ». Mais au vu de l’image catastrophique de l’ambiance au Parc des Princes, le propriétaire du PSG a pris la décision en fin d’année 2016, d’autoriser les ultras (groupes de supporters actifs) à revenir dans le stade afin d’exposer au monde entier la liesse qui règne dans le club de la capitale. Marketing quand tu nous tiens…
S’abonner pour supporter
Alors qu’il y a quelques années, un seul abonnement à Canal + donnait droit à l’intégralité de la Ligue 1, de la Ligue des Champions et la retransmission des championnats espagnol et anglais, il faut aujourd’hui que le consommateur s’abonne à 4 chaînes s’il veut suivre tous les matchs français (coupes comprises) et les compétitions européennes.
Voici les tarifs proposés pour l’abonnement à chaque chaîne
BeIn 15 €/mois (sans engagement) ou 14 €/mois (engagement d’un an)
Eurosport 7.99 €/mois (sans engagement) ou 5.99€/mois (engagement d’un an)
SFR sport 9.99€/mois (sans engagement et sans abonnement à SFR)
Canal + 19.90€/ mois pour l’offre « essentiel » (C+ et C+ décalé) (abonnement de 2 ans) ou
34.90 €/mois (offre promotionnelle en cours) pour l’offre « essentiel + sports » avec les chaînes sport BeIn+ C+ + Eurosport+ autres chaînes sports.
Ainsi, à moins de vous abonner directement auprès de Canal + pour l’offre « Essentiel + sports », vous devrez débourser près de 50 €/mois soit 600€/ an pour suivre les plus grandes compétitions sportives dont le football fait partie.
Pour la période 2016-2017, voici le panorama des retransmissions :
Une censure pour le citoyen consommateur
Par le décret 2004-1392 du 22 décembre 2004, la France a dressé la liste des 21 événements « d’importance majeure » qui doivent être visibles gratuitement par le public du fait de leur caractère fédérateur (identité culturelle nationale). Cette liste est établie selon quatre critères. L’évènement doit :
- fédérer un public plus large que celui qui est traditionnellement concerné,
- participer de l’identité culturelle nationale,
- impliquer l’équipe nationale dans le cadre d’une manifestation,
- faire traditionnellement l’objet d’une large audience télévisée.
Cette liste assez restrictive comprend les évènements sportifs suivants, décrits dans l’Art 3 du décret 2004-1392 :
1° Les jeux Olympiques d’été et d’hiver ;
2° Les matchs de l’équipe de France de football inscrits au calendrier de la Fédération internationale de football association (FIFA) ;
3° Le match d’ouverture, les demi-finales et la finale de la Coupe du monde de football ;
4° Les demi-finales et la finale du Championnat d’Europe de football ;
5° La finale de la Coupe de l’Union européenne de football association (UEFA) lorsqu’un groupement sportif inscrit dans l’un des championnats de France y participe ;
6° La finale de la Ligue des champions de football ;
7° La finale de la Coupe de France de football ;
8° Le tournoi de rugby des Six Nations ;
9° Les demi-finales et la finale de la Coupe du monde de rugby ;
10° La finale du championnat de France de rugby ;
11° La finale de la coupe d’Europe de rugby lorsqu’un groupement sportif inscrit dans l’un des championnats de France y participe ;
12° Les finales des simples messieurs et dames du tournoi de tennis de Roland-Garros ;
13° Les demi-finales et les finales de la Coupe Davis et de la Fed Cup lorsque l’équipe de France de tennis y participe ;
14° Le Grand Prix de France de formule 1 ;
15° Le Tour de France cycliste masculin ;
16° La compétition cycliste « Paris-Roubaix » ;
17° Les finales masculine et féminine du championnat d’Europe de basket-ball lorsque l’équipe de France y participe ;
18° Les finales masculine et féminine du championnat du monde de basket-ball lorsque l’équipe de France y participe ;
19° Les finales masculine et féminine du championnat d’Europe de handball lorsque l’équipe de France y participe ;
20° Les finales masculine et féminine du championnat du monde de handball lorsque l’équipe de France y participe ;
21° Les championnats du monde d’athlétisme.
Comme on peut s’en rendre compte, La France comme la majorité des états européens a circonscrit les évènements majeurs en limitant leur diffusion seulement à des phases finales ; le public étant alors autorisé à ne suivre que l’issue finale des compétitions outrepassant ainsi « le droit à l’information public ».
Les supporters de football ont ainsi un droit d’accès restreint à l’information sportive et comme l’exposait le sénateur Yannick Vaugrenard en 2013 lors d’une séance dans l’hémicycle : « La raréfaction du sport gratuit à la télévision exclut de fait les téléspectateurs aux moyens financiers réduits ».
Bien que le terme de censure ne puisse s’appliquer puisque le football est visible en partie sur les chaînes gratuites, il n’en demeure pas moins que la privatisation des droits de diffusion vient remettre en cause le droit à l’information des citoyens. Comment le football pourra t-il continuer à fédérer en tenant à l’écart autant de public ? Et quel prix le consommateur sera-t-il prêt à payer pour continuer à suivre sa passion, sachant que le seul abonnement à BeIn a bondi de 36% en quatre ans comme le notifiait l’UFC que Choisir en novembre 2016 ?
Nous sommes alors en droit de nous demander jusqu’ou ira cette privatisation et si celle-ci n’engendrera pas à terme un élitisme sportif de masse…
L. Bourgiteau
Pour aller plus loin…
Les français paeint-ils plus cher qu’ailleurs pour regarder du foot à la télé ?, Guillaume Errard, 20/04/2014, www.lefigaro.fr
Coupe du Monde : pourquoi on ne peut plus regarder les matchs sur les chaînes étrangères ?, Geoffroy Husson, 27/06/2014, www.tomsguide.fr
Sports : l’OPA des chaînes payantes, Véronique Groussard, 19/06/2016, www.teleobs.nouvelobs.com
L1, 1ère League, Ligue des Champions, Euro 2016…Où regarder le football à la télé ?, Julien Absalon, 28/04/2016, www.rtl.fr
Droits télé sportifs : de plus en plus de prétendants, mais combien d’élus ?, Yannick Cochennec, 08/03/2016, www.slate.fr
« OPA sur le ballon rond », 31/03/2014, www.tendance-eco.com
« « Ici, c’était Paris » ?, Comment concilier sécurité, liberté et ambiance au Parc des Princes », Nicolas Hourcade, 13/06/2016, www.metropolitiques.eu
https://www.senat.fr/questions/base/2013/qSEQ13060493S.html
http://junon.univ-cezanne.fr/u3iredic/?p=12804
https://www.cairn.info/revue-legicom-2000-3-page-17.htm
https://www.quechoisir.org/actualite-bein-sports-36-en-4-ans-n23187